2/11/25

Lutte contre les loyers abusifs à Bruxelles : Mesure protectrice ou encore une bombe à retardement pour le marché locatif ?

Depuis le 1er mai 2025, le cadre juridique régissant les baux d'habitation en Région de Bruxelles-Capitale a connu une (énième) évolution significative.

En activant les dispositions clés d'une ordonnance adoptée en 2021, le législateur bruxellois a instauré une interdiction formelle pour les bailleurs de proposer un loyer jugé "abusif".

Cette mesure, qui vise à réguler le marché locatif privé dans un contexte de tension immobilière et de crise du logement, modifie l'équilibre de la liberté contractuelle qui prévalait jusqu'alors dans la fixation des loyers.  

Pour de nombreux bailleurs et investisseurs, qui représentent 86 % du marché locatif bruxellois, cette réglementation est perçue comme une attaque frontale, un « changement paradigmatique » qui remet en cause les fondements mêmes de la relation locative.

Cet article a pour vocation de décortiquer le mécanisme de cette nouvelle interdiction et vous fournir les clés stratégiques pour naviguer ce paysage locatif profondément remanié.

Qu’entend-on par "loyer abusif" ?

L'article 224/1 du Code bruxellois du Logement dispose désormais que « Le bailleur est tenu de ne pas proposer un loyer abusif ». Cette simple phrase marque une rupture avec le régime antérieur où le montant du loyer était, en principe, librement déterminé par les parties.

Pour définir ce qu'est un loyer abusif, l'article 224 du Code instaure un mécanisme de double présomption. Un loyer est ainsi présumé abusif dans deux hypothèses distinctes :

  • Le critère quantitatif : lorsque le loyer « dépasse de vingt pour cent son loyer de référence ». Ce seuil mathématique de 20 % introduit un critère d'apparence objective dans l'évaluation du caractère excessif d'un loyer.
  • Le critère qualitatif : lorsque le loyer, même s'il n'excède pas le seuil de 20 %, est appliqué à un logement qui « accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement ». Ce second volet garantit qu'un loyer, même modéré en apparence, puisse être contesté si la qualité du bien est manifestement insuffisante. 

L'ensemble de ce dispositif repose sur une nouvelle pierre angulaire : le « loyer de référence ». 

Le loyer de référence : comment ça marche ?

Calculable via un outil en ligne officiel, (http://loyers.brussels), ce loyer de référence doit désormais être obligatoirement mentionné dans tout nouveau contrat de bail d'habitation, conformément à l'article 218 du Code. 

Cliquez sur l'image pour calculer votre loyer de référence

L'emploi du terme « présumé abusif » n'est pas anodin ; il opère un renversement complet du fardeau de la preuve. Si le loyer convenu dépasse le seuil de 20 % du loyer de référence, il est automatiquement considéré comme abusif sauf preuve contraire de la part du bailleur. Pour justifier cet écart avec le loyer de référence, le bailleur doit démontrer l'existence d’ « éléments de confort substantiels », le contraignant ainsi à constituer un dossier de justification solide avant même la naissance de tout conflit.

La nécessité pour le bailleur de constituer un dossier solide est également justifiée lorsque le loyer n’excède pas de 20% le loyer de référence. En effet, un loyer pourrait être considéré comme abusif même s’il respecte la grille de référence dans le cas où le locataire prétendrait que le logement « accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques ». Cette nouvelle configuration impose aux bailleurs une préparation proactive et méticuleuse de leurs dossiers (photographies, plans, factures, …). 

La grille de référence : Le point central

Le loyer de référence, et la grille qui le sous-tend, est le moteur de tout le système. C'est aussi la source d'une controverse virulente qui oppose les représentants des propriétaires aux défenseurs des locataires.

D’une part, le Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires a exprimé de fortes réserves, estimant que la grille génère des loyers de référence "artificiellement bas", ce qui pourrait rendre plus de la moitié des baux bruxellois potentiellement abusifs. Le syndicat critique des incohérences perçues dans les comparaisons géographiques et juge la valorisation des éléments de confort (garage, seconde salle de bain, rénovations énergétiques) déconnectée des coûts réels et peu incitative. Un recours en annulation a été introduit en ce sens devant la Cour constitutionnelle.  

À l'inverse, les syndicats de locataires défendent la mesure comme une avancée sociale nécessaire en insistant sur un profond déséquilibre de richesse entre bailleurs et locataires. Face à une crise du logement documentée (31 % de la population en logement surpeuplé), les locataires et leurs représentants perçoivent la grille comme un premier rempart indispensable.  

Cette polarisation extrême autour de la grille de référence pourrait toutefois avoir des conséquences perverses. En effet, la perception d'iniquité, qu'elle soit fondée ou non, influence les décisions d'investissement. Un propriétaire pourrait hésiter à engager des rénovations énergétiques coûteuses si le retour sur investissement locatif est plafonné à un niveau jugé insuffisant. D'autres pourraient choisir de vendre leurs biens ou de se détourner du marché bruxellois créant ainsi une « fuite des investisseurs ». À moyen et long terme, une telle dynamique pourrait donc aggraver ainsi la crise que la loi prétendait résoudre.

En cas de litige : procédure à deux voies 

Lorsqu'un désaccord survient, la nouvelle législation offre aux parties une procédure à deux voies pour faire valoir ses droits.

En première intention, le locataire (ou le bailleur) peut saisir la Commission Paritaire Locative. Cette instance, composée en théorie de représentants des bailleurs et des locataires, a pour mission de rendre un avis sur la justesse du loyer. Cet avis n'a toutefois aucune valeur contraignante. 

Le rôle de cette Commission est avant tout informatif et vise à encourager une conciliation. Sa saisine est une faculté et non une obligation avant d'entamer une procédure judiciaire. Toutefois, son avis pourrait constituer une preuve utile pour appuyer la position de l’une ou l’autre partie devant le Juge de Paix. Cette commission peut donc être utilisée comme un outil stratégique à faible coût et ainsi servir de « round d’observation » pour évaluer les prétentions de son adversaire.

Lorsqu’il est nécessaire d’obtenir une décision contraignante, le Juge de Paix reste toutefois la seule voie efficace pour ordonner une révision du loyer. La loi prévoit des délais précis pour introduire une telle action : à partir du troisième mois pour un bail de courte durée, et à partir du quatrième mois pour un bail de neuf ans.

Devant le juge, le débat portera sur les preuves apportées par chaque partie. Le bailleur devra démontrer que les éléments de confort de son bien justifient le loyer pratiqué, tandis que le locataire mettra en avant d'éventuels défauts de qualité.

Conclusion : Naviguer dans un paysage locatif en pleine mutation

L'ordonnance bruxelloise sur les loyers abusifs est bien plus qu'un simple mécanisme de contrôle des prix. Elle restructure en profondeur la relation juridique entre bailleurs et locataires, en instaurant une nouvelle logique de présomption qui place le propriétaire dans une position défensive. 

Le marché locatif bruxellois entre ainsi dans une ère d'incertitude juridique et économique, où la liberté contractuelle est désormais encadrée par une grille de référence aussi centrale que controversée.

L'impact réel de cette législation reste à déterminer. Il dépendra de l'interprétation par les juges de paix de la notion d’ « éléments de confort substantiels », du fonctionnement pratique de la Commission Paritaire Locative et, surtout, de l'issue des recours pendants devant la Cour constitutionnelle. Le risque de voir les investissements se raréfier et le marché locatif se dégrader est réel et ne doit pas être sous-estimé. 

Dans ce contexte juridique polarisé, où chaque bail peut devenir un litige potentiel et où la valeur de votre patrimoine est soumise à l'aléa d'une grille contestée, l'improvisation n'est plus une option. Anticiper, documenter et défendre sont les nouveaux maîtres-mots de la gestion immobilière à Bruxelles. 

Riche de son expertise pointue en droit du bail et en droit immobilier Vanbelle law Boutique se positionne comme votre partenaire stratégique pour auditer vos investissements locatifs, sécuriser vos contrats et défendre vos intérêts avec rigueur et conviction. 
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